« Le fait que le juge de l’extradition suisse, l’office fédéral de la justice, demande à la personne suspectée si cette dernière consent ou non à son extradition n’a rien de surprenant. En effet, il ne s’agit évidemment pas de demander à l’intéressé s’il consent ou non à être jugé en France. Il s’agit simplement de déterminer, à ce stade, si la procédure d’extradition va emprunter un circuit court ou long. Le refus que vient d’exprimer l’intéressé signifie donc principalement que c’est une procédure longue qui va être suivie, et ce choix, entre le temps court et le temps long, appartient à la personne visée par la demande d’extradition. Cette demande d’extradition a été formalisée par le France le 9 octobre 2024, soit 15 jours après l’interpellation, le 24 septembre 2024, à Genève, donc avant l’expiration du délai conventionnel de 18 jours. A l’expiration de ce délai de 18 jours, faute de demande formelle d’extradition, Taha O. aurait été libéré, en application de l’article 16.4 de la convention d’extradition du 13 décembre 1957 à laquelle adhèrent la France et la Suisse (la procédure du mandat d’arrêt européen étant inapplicable).
Désormais, le futur mis en examen va pouvoir faire valoir un certain nombre de moyens de droit devant le juge de l’extradition Suisse, consistant à invoquer des motifs obligatoires ou facultatifs de refus d’extradition. Au regard de la nature des faits qui sont reprochés à l’individu, on voit mal quel motif pourrait gêner l’office fédéral de la justice puis, en cas de recours, le tribunal pénal fédéral. En effet, il ne s’agit pas d’une affaire politique, la condition de réciprocité est remplie, les faits sont récents donc la prescription est à écarter, la peine de mort n’est pas encourue, les faits n’ont pas été commis sur le territoire Suisse et ils n’ont jamais été jugés. Seul un très improbable vice de procédure pourrait éventuellement, s’il est suffisamment grave, venir entraver l’inéluctable. Ce qui veut dire que selon toute vraisemblance, Taha O. sera bien présenté au juge d’instruction français qui lui notifiera sa mise en examen et une demande de placement en détention provisoire sur laquelle le Juge des Libertés et de la Détention statuera.
La procédure suisse, si tous les recours sont utilisés, peut cependant prendre plusieurs mois avant qu’une décision définitive n’intervienne, sachant qu’un éventuel recours devant le tribunal pénal fédéral, à Bellinzone, est suspensif, de sorte que tant que cette juridiction n’a pas statué, l’avis favorable à l’extradition ne peut être mis à exécution.
Pendant tout ce temps, l’intéressé pourra déposer des demandes de mise en liberté, c’est un droit, mais compte tenu de la nature du dossier, on voit mal comment un juge pourrait faire confiance au requérant, étant précisé qu’il ne s’agit pas pour le juge suisse, que ce soit le juge de l’extradition ou celui de la détention, de porter une appréciation sur la qualité des indices ou des preuves qui existent dans le dossier d’instruction français.
Là encore, il faudrait une grave irrégularité procédurale, comme le non respect d’un délai impératif, pour que la personne concernée soit remise en liberté.
En France, au-delà de la polémique sur l’exécution des OQTF, qui va continuer à occuper l’actualité puisqu’un projet de loi est annoncé, une autre question mériterait d’être posée. Il s’agit du transfèrement des condamnés étrangers. Généralement, le transfèrement vers le pays dont le condamné a la nationalité peut être demandé par le condamné lui-même, par l’Etat de condamnation ou par l’Etat d’exécution. Il existe entre la France et le Maroc une Convention sur l’assistance aux personnes détenues et sur le transfèrement des condamnés, du 10 août 1981. En l’espèce, le transfèrement de Taha O., qui nécessitait que celui-ci y consente, vers une prison marocaine, a-t-il été sollicité dans le cadre de l’exécution de sa peine criminelle pour viol, entre 2021 et 2024 ? Purger la fin de cette peine au Maroc n’aurait-il pas été la meilleure manière d’éviter de nouveaux faits criminels, un nouvel imbroglio autour du fameux laissez-passer consulaire et un passage, toujours risqué, dans un centre de rétention administratif ?
Une réforme simple consisterait à négocier avec les autorités marocaines un avenant à la Convention de 1981, comme l’a fait la Belgique pour ses ressortissants puisque depuis 2007, le transfèrement des personnes ayant la nationalité belge n’est plus soumis à leur consentement . S’agissant de Taha O., condamné en 2021 pour un viol à sept ans d’emprisonnement criminel par une Cour d’assises des mineurs, se pose donc la question de savoir si les autorités françaises, outre le laissez-passer consulaire, ont sollicité le transfèrement du condamné, devenu majeur, entre le moment de sa condamnation en 2021 et le moment de sa sortie de prison, au mois de juin 2024. D’autant que, selon la presse, celui-ci aurait déclaré, peu après la fin de sa peine, le 3 septembre 2024, devant le Juge des Libertés et de la Détention : « je ne comprends pas pourquoi je suis encore au centre. Je veux quitter la France ». Il eut donc été plus judicieux de poser la question à l’intéressé durant l’exécution de sa peine, quand il était encore temps, sous main de justice. En réalité, l’exécution des fins de peine pour les condamnés de nationalité étrangère est un sujet souvent plus délicat à traiter que celui de l’extradition. Une procédure d’extradition mobilise différents services, diplomatiques et judiciaires, il en va de l’image d’un pays de sorte que la France sait prendre ses précautions ; tandis que la fin de peine d’un condamné de nationalité étrangère, qu’il conviendrait de savoir anticiper, est traitée à un moment où le trouble à l’ordre public s’est estompé. Le temps passe ; la dangerosité, parfois, demeure.