LA PROCEDURE D’ANNULATION D’UN MANDAT D’ARRET INTERNATIONAL EN FRANCE ET AU MAROC

Article écrit avec Me Rabii Chekkouri avocat au barreau de Rabat, paru sur le site du Village de la justice

Un mandat d’arrêt est l’ordre émis par la juridiction d’un pays donné de rechercher, interpeller et détenir un individu. Un mandat d’arrêt international est la diffusion à l’échelle internationale de cette information, sous forme de fichier – la fameuse notice rouge -. Ce fichier constitue un avis de recherche international émis à la demande d’un Etat auprès de l’organisation policière internationale Interpol à laquelle adhère la quasi-totalité des pays du monde entier. Cet avis de recherche international a la plupart du temps un effet contraignant. Cet effet contraignant correspond à ce que l’on appelle l’arrestation provisoire qui est la première phase d’une procédure pénale aux fins d’extradition. C’est la raison pour laquelle on parle plus volontiers de mandat d’arrêt international plutôt que d’avis de recherche international, même si, en France, le caractère contraignant ne semble reposer que sur une mystérieuse circulaire du 31 juillet 2008, qui constitue une base juridique étonnamment fragile. Au Maroc, le mandat d’arrêt international peut être émis par le procureur du Roi près le tribunal de première instance, s’il s’agit d’un délit, ou par le procureur général du Roi près la Cour d’appel, s’il s’agit d’un crime, ou encore par un juge d’instruction (notons que la législation marocaine ne prévoit l’obligation de l’instruction que lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à trente (30) ans de réclusion criminelle). Cet avis de recherche international est diffusé par message d’Interpol (notice rouge), entraînant également une arrestation provisoire aux fins d’une extradition vers l’État requérant.
Rappelons que le Royaume du Maroc a ratifié un certain nombre de conventions bilatérales et multilatérales sur l’extradition considérées comme supra législatives. À défaut d’un traité international en la matière, les dispositions du Code de procédure pénale trouveront application.

En dehors du cas spécifique des mandats d’arrêt délivrés par la Cour Pénale Internationale que nous ne traiterons pas ici, l’émission d’un mandat d’arrêt international suppose donc l’existence première d’un mandat d’arrêt interne si bien qu’un mandat d’arrêt international peut être contesté à deux niveaux, devant la juridiction nationale compétente et/ou devant la Commission de Contrôle des Fichiers d’Interpol (CCF). Car depuis 2017, le justiciable visé par un mandat d’arrêt international peut saisir la CCF, qui s’apparente à une juridiction, d’une demande tendant à accéder à la notice rouge ou à sa suppression.

I – L’ECHELON NATIONAL

– La procédure française

La publication d’une notice rouge suppose l’existence d’un mandat d’arrêt émis par une juridiction pénale. Il peut s’agir soit d’un mandat d’arrêt émis par un juge d’instruction (ou éventuellement par un juge de l’application des peines) soit d’un mandat d’arrêt qui repose sur une décision de condamnation correctionnelle ou criminelle. 

Ce qui veut dire qu’avant de saisir la CCF d’Interpol, la personne recherchée doit d’abord songer à ce que soit vérifiée la validité du mandat d’arrêt national en saisissant la juridiction compétente, en l’occurrence, le plus souvent, la chambre de l’instruction. Au cours d’une instruction, la personne considérée comme fugitif pourra, qu’elle se trouve en France ou à l’étranger, saisir la chambre de l’instruction aux fins de vérification de la régularité du mandat d’arrêt qui la vise. A l’issue de l’information judiciaire, si le juge d’instruction renvoie l’intéressé devant le tribunal correctionnel ou devant la Cour d’assises et si l’absent est considéré comme fugitif, ce dernier, en l’état de la jurisprudence, ne pourra soulever que la nullité des actes de procédure postérieurs à son renvoi. Les moyens péremptoires et d’ordre public comme la prescription de l’action publique, en revanche, pourront être soulevés devant la juridiction de jugement et même pour la première fois devant le Cour de cassation. 

Lorsque le mandat d’arrêt prolonge une condamnation, l’intéressé pourra, en cas de condamnation par défaut, faire opposition, c’est-à-dire, concrètement, demander la tenue d’un nouveau procès lors duquel la régularité de la procédure pourra être évoquée. En matière criminelle, le condamné absent a systématiquement droit à un nouveau procès si bien que l’opposition à l’arrêt criminel n’existe même pas. Si l’intéressé est détenu, il pourra également saisir, avant que le procès n’ait lieu, la chambre de l’instruction d’une demande de mise en liberté lors de laquelle pourra être contestée la régularité de la détention. En matière délictuelle, l’opposition peut être faite au moment de l’interpellation ou, en cas d’absence, par l’intermédiaire d’un avocat car la présence du condamné n’est pas obligatoire. La procédure de coutumace n’existant plus, le procès pourra se tenir en l’absence de l’accusé qui bénéficiera des mêmes droits que celui qui comparaît à l’audience, libre ou détenu. Si l’opposition ou l’appel ne sont plus possibles, donc en cas de condamnation définitive, la prescription de la peine peut être soulevée devant la chambre de l’instruction sachant que la prescription d’une peine, comme la prescription de l’action publique, met à néant le mandat d’arrêt national et, par voie de conséquence, le mandat d’arrêt international. Lorsque le requérant a contesté avec succès la validité du mandat d’arrêt, les autorités du pays émetteur sont obligées d’en informer Interpol qui doit alors procéder à l’effacement de la notice rouge.

  • La procédure marocaine

Suite à une mise en mouvement de l’action publique par le parquet compétent ou dans le cadre d’une instruction, ou encore suite à une condamnation pénale, une procédure de recherche à l’échelle internationale peut être déclenchée à l’égard d’un fugitif.


Partant, la diffusion d’une notice rouge d’Interpol suppose l’existence d’un mandat d’arrêt international régulièrement émis par les autorités judiciaires compétentes.
Ainsi, le Guide pratique sur l’extradition publié par la Présidence du Ministère public en juillet 2021, expose les différents motifs justifiant éventuellement l’annulation d’un mandat d’arrêt international, notamment dans le cadre de circulaires de la Présidence du Ministère public. Notons que, depuis 2017, le Ministère public ne dépend plus du Ministère de la justice en ce qui concerne la hiérarchie, notamment en matière de politique pénale. Ainsi, une nouvelle institution a été créée baptisée Présidence du Ministère public qui comprend un pôle dédié à la coopération judiciaire internationale.

De surcroît, un projet de procédure pénale actuellement en débat devant le Parlement, régit en détail le mandat d’arrêt international ainsi que la possibilité de son annulation. Cette avancée législative s’annonce plus efficace et ayant plus de valeur que des dispositions de simples circulaires.

À l’instar de la législation française, la contestation d’un mandat d’arrêt international pourrait être envisagée, dans un premier temps, devant l’autorité l’ayant émis. Ensuite, il serait possible de saisir la CCF d’Interpol à Lyon pour solliciter l’effacement des données de l’intéressé. Toutefois, rien n’interdit la saisine simultanée des deux instances. 

L’annulation du mandat d’arrêt international peut être fondée sur la prescription de l’action publique ou de la peine, sur le décès de l’intéressé, ou pour toute autre raison juridique valable.

Dans l’hypothèse où le mandat d’arrêt international émis par les autorités marocaines a entraîné une arrestation à l’étranger puis une demande officielle d’extradition adressée par voie diplomatique, le désistement à ladite demande officielle peut intervenir.

L’échelon national doit d’autant plus être privilégié que la procédure devant la CCF offre beaucoup moins de garanties que les procédures nationales. 

II – L’ECHELON INTERNATIONAL

La possibilité pour un justiciable de saisir directement la CCF est relativement récente puisqu’elle remonte à 2017. Pour faire face aux critiques relatives au caractère opaque du processus de publication des notices rouges compte tenu de leurs effets juridiques et du possible abus de l’utilisation de celles-ci par certains Etats, l’organisation Interpol a choisi d’ouvrir aux justiciables la possibilité de les contester en saisissant la chambre des requêtes de la CCF. Cette chambre est composée de membres indépendants et impartiaux, disposant de qualifications ou d’une expérience particulière dans certains domaines du droit dont le droit pénal international. Il faut noter que l’article 20 du statut de la CCF garantit la confidentialité dans le traitement des requêtes qui ne sauraient donc avoir d’incidence négative sur la situation du requérant dans le pays à l’origine de la notice rouge ou dans un autre pays comme le pays de localisation de la personne recherchée. En effet, l’exercice de droits consacrés par le règlement d’Interpol sur le traitement des données, règlement auquel les pays membres adhèrent, ne saurait être dissuadé, contrarié ou entravé par la crainte de mesures de rétorsion. Si tel ne devait pas être le cas, la responsabilité de l’organisation, basée à Lyon, pourrait être engagée, même si celle-ci jouit d’une immunité de juridiction, laquelle n’est acceptable que s’il existe un système de substitution qui permet aux justiciables d’obtenir justice.

Les possibilités d’obtenir l’effacement des notices rouges sont régies par le règlement d’Interpol sur le traitement des données, plus particulièrement par les articles 82 à 87 dudit règlement, consacrés aux notices rouges. Un certain nombre de critères et de données minimales y sont définis, constituant autant de moyens juridiques pour les contester lorsque les conditions ne sont pas satisfaites. Il s’agit de conditions portant sur la nature de l’infraction (de droit commun, d’une particulière gravité et non controversée), sur un seuil de sanction mais aussi sur un certain niveau de précision requis quant aux éléments d’identification de la personne recherchée ou encore quant aux informations juridiques relatives aux faits, à l’infraction, à la loi nationale applicable, à la peine, au mandat d’arrêt.  Il s’agit de critères cumulatifs qui seront, chacun, formellement mais scrupuleusement vérifiés par la Commission qui s’assure à cette occasion de l’existence du mandat d’arrêt, qu’il soit français ou marocain, de sa validité, de son actualité mais aussi, dans une certaine mesure, de sa pertinence, en fonction de la loi et de la procédure en vigueur dans le pays qui en a fait la demande. La demande de publication d’une notice rouge par les autorités d’un Etat doit aussi présenter un minimum d’intérêt pour la coopération policière internationale, le but d’une notice rouge étant de permettre le déclenchement impératif d’un processus extraditionnel lorsque la personne recherchée a été localisée, les Etats pouvant également se montrer défaillants sur ce point. 

Il convient enfin de noter, d’une part, que la procédure devant la chambre des requêtes de la CCF n’est pas contradictoire bien qu’une audience soit parfois accordée ou que des demandes de précisions complémentaires puissent être adressées au requérant, et, d’autre part, que les décisions de la CCF sont insusceptibles d’appel bien qu’une demande de révision d’une décision refusant l’effacement d’une notice rouge soit possible dans les cas où a été découvert un fait qui aurait pu conduire la chambre des requêtes à une conclusion différente si ce fait avait été connu au moment où la requête a été traitée (article 42 du statut de la CCF).

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