Article paru dans la revue actu-juridique
• Les spécificités choquantes de la procédure d’extradition au Danemark
Le temps passe et toujours pas de juge de l’extradition à l’horizon. Paul Watson, qui aura 74 ans le 2 décembre prochain, le jour de la prochaine audience, doit commencer à trouver le temps long. Arrêté le 21 juillet dernier puis incarcéré dans une prison du Groenland, il est donc maintenu sous écrou extraditionnel après une énième audience devant le juge de la détention. Paul Watson doit donc encore attendre que le ministre de la justice danois, Peter Hummelgaard, qui supervise le système judiciaire du pays, daigne prendre position. Ce n’est que dans un second temps que le juge de l’extradition du Groenland sera saisi, en cas d’avis favorable à l’extradition du ministre, et c’est sans doute ce qu’il y a de plus choquant : Paul Watson ne peut toujours pas faire valoir ses arguments. Drôle de procédure que cette procédure danoise, au sein de l’Union Européenne (UE), censée garantir un niveau de protection des droits individuels élevé, jusqu’au Groenland, seul territoire danois d’outre-mer associé à l’UE. Car le système danois souffre de la comparaison avec un certain nombre de pays membres de l’UE. En France, seule une chambre de l’instruction, qui relève de la Cour d’appel, peut émettre un avis, favorable ou défavorable, à l’extradition. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un simple avis mais d’une véritable décision de justice qui s’impose au gouvernement. Ainsi, l’implication du pouvoir politique dans la procédure extraditionnelle danoise, à ce stade de la procédure, a de quoi surprendre, les liens de subordination entre la police, les procureurs et le ministre de la justice étant de surcroît particulièrement marqués dans le système judiciaire du Danemark.
• Une procédure d’extradition sans traité d’extradition
Une autre incongruité procédurale est qu’il n’existe aucun traité d’extradition entre le royaume du Danemark et le Japon . Or, les demandes d’extradition s’appuient généralement sur un traité bilatéral ou multilatéral liant deux ou plusieurs Etats signataires. Ce n’est pas le cas ici. Il est vrai que l’extradition est avant tout un acte de souveraineté qui, à ce titre, n’est pas subordonné à la prévision d’une convention internationale. Une extradition peut donc théoriquement intervenir en application d’une loi de procédure nationale, qui trouve alors à s’appliquer à titre subsidiaire. A titre d’exemple, le Chili, réputé être un pays refuge en matière d’extradition, comme de nombreux pays d’Amérique centrale ou du sud, vient d’accorder l’extradition d’un jurassien de 54 ans poursuivi en France pour des infractions de nature sexuelle sur des mineurs, dont certaines par ascendant. Les faits ont dû apparaître suffisamment odieux aux autorités chiliennes pour qu’elles décident de la remise de l’intéressé aux autorités françaises. L’Etat requis, ici le Danemark, lorsqu’il met en œuvre une procédure d’extradition sans traité d’extradition, manifeste une intention particulière dans un cas particulier. Une sorte d’exception à la règle tacite de non extradition en l’absence de convention avec le pays requérant.
• Une volonté politique
L’interpellation puis l’incarcération au Groenland de Paul Watson, figure emblématique de la lutte contre la chasse baleinière, ne doit rien au hasard. Elle est surtout le résultat d’une volonté politique ultramarine en territoire danois, prolongeant la notice rouge émise par Interpol à la demande du Japon qui viole le moratoire international interdisant, depuis son entrée en vigueur en 1986, la chasse aux Baleines à des fins commerciales. Contrairement aux idées reçues, arrêter une personne visée par une notice rouge n’a rien de systématique. Il s’agit toujours d’un choix étatique, confirmé, ou non, par la demande d’extradition puis par le juge de l’extradition. On sait que certaines personnes visées par une notice rouge, dont des chefs d’Etat, passent certaines frontières. D’ailleurs, la notice rouge qui visait Paul Watson ne date pas d’hier puisqu’elle a été émise en 2012 pour des faits qui remontent au mois de janvier 2010. Pendant tout ce temps, il a manifestement pu vivre, circuler et naviguer à peu près normalement puisqu’il vit entre une péniche parisienne à quai et un pied-à-terre marseillais, sans que la France n’ait jamais procédé à son arrestation. Ce n’est donc pas un hasard si, d’après les informations disponibles, les autorités groenlandaises ont obtenu des îles Féroé, autre territoire autonome sous tutelle danoise, les détails de l’itinéraire du navire de Paul Watson, le Johan Paul DeJoria, parti de Dublin, en Irlande, soupçonnant une escale à Nuuk, au Groenland. Dans ces territoires, la chasse aux cétacés est une tradition culturelle (le grind). Autant dire que Paul Watson n’y est pas le bienvenu. Son interpellation n’est pas le fait d’un contrôle inopiné.
• Une infraction politique ?
Parmi les moyens invoqués par Paul Watson pour s’opposer à son extradition, figure celui du caractère politique des infractions (de droit commun) dont l’accuse le Japon. A titre de comparaison, en France, c’est l’article 696-4 2° du code de procédure pénale qui prohibe l’extradition « lorsque le crime ou le délit à un caractère politique ou lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique ». Selon la jurisprudence française, sont politiques les infractions qui portent atteinte à l’ordre politique, qui sont dirigées contre la constitution du gouvernement et contre la souveraineté, qui troublent l’ordre établi par les lois fondamentales de l’Etat et la distribution des pouvoirs. Depuis un arrêt Koné du Conseil d’Etat du 3 juillet 1996, le refus de l’extradition, lorsqu’elle est demandée dans un but politique, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), qui a donc valeur constitutionnelle. Il n’existe cependant pas de définition universelle de l’infraction politique de sorte qu’il appartient aux juridictions compétentes de chaque Etat d’apprécier l’étendue de cette notion. En pratique, ce sont surtout la trahison, l’espionnage, les atteintes au secret de la défense nationale qui sont considérées comme étant de nature politique. Le nom de Julian Assange vient donc plus spontanément à l’esprit que celui de Paul Watson. Faire entrer le mobile écologique dans la définition de cette notion constituerait une évolution à laquelle la justice danoise risque de se montrer réticente.
• Les autres moyens de droit
Le ministre de la justice danois a déclaré à la presse que « selon la loi d’extradition du Groenland, il est notamment exigé que l’acte soit d’une certaine gravité et qu’il ne s’agisse pas d’un délit politique ». Il a aussi rappelé que l’extradition ne serait pas autorisée si elle s’avérait incompatible avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme, à laquelle le Danemark adhère. Car si la Convention Européenne des Droits de l’Homme ne protège pas directement les personnes visées par une procédure d’extradition contre les infractions à caractère politique, la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’en reste pas moins attentive à une éventuelle violation de l’article 3 qui prohibe la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants (Burga Ortiz c/Allemagne, 16 octobre 2006). De sorte que les autorités japonaises, si elles maintiennent leur demande d’extradition, vont devoir donner des garanties à la justice danoise. Les autorités japonaises seront inévitablement questionnées dans le cadre des compléments d’information que ne manquera pas d’ordonner le juge de l’extradition lorsque celui-ci sera saisi, ce qui n’est hélas toujours pas le cas. Car c’est finalement une complicité par instruction qui est reprochée à Paul Watson, qui n’était pas présent sur place au moment de l’accrochage du baleinier japonais, en janvier 2010. Accrochage au cours duquel une flasque d’acide butyrique (beurre rance) a été jetée lors d’une prétendue conspiration d’abordage qui aurait blessé un marin japonai s, d’après un témoignage qui semble avoir été recueilli dans des conditions contestables. Bien que le juge de l’extradition n’ait pas en théorie à apprécier le sérieux des charges, il doit donner aux faits une qualification adéquate en fonction de leur réception par le droit du pays requis, dès lors que la procédure d’extradition repose sur le principe de réciprocité des incriminations. C’est dans ce cadre que la vidéo de la défense de Paul Watson, qui conteste les faits, pourra être visionnée par les juges danois. De cette qualification dépend l’appréciation de la gravité des faits qualifiés en droit mais aussi la peine encourue. Or, selon la demande d’extradition formulée par le Japon, la peine encourue est de 15 ans d’emprisonnement. Pour la complicité d’une infraction qui pourrait tout aussi bien être qualifiée d’involontaire, à supposer les faits avérés, cela fait peut-être beaucoup… Une privation de liberté pour une durée aussi longue, dans un tel contexte, pour un homme âgé de 74 ans, père de trois enfants dont deux enfants de 8 et 3 ans, pourrait être considérée comme une peine inhumaine. Il en est de même des conditions de détention en cas de remise au Japon, conditions qui seront scrupuleusement examinées par les juges compétents. En effet, la dureté du système carcéral japonais n’est plus un mystère, notamment depuis la rocambolesque évasion de Carlos Ghosn. Et le juge de l’extradition devra encore apprécier la possibilité pour Paul Watson de bénéficier d’un procès équitable en cas de remise, ce qui, là encore, s’agissant du système judiciaire japonais, n’a rien d’évident. En définitive, l’embarras du choix va peser sur les épaules des juges. A moins que le ministre danois de la justice fasse très prochainement le choix raisonnable d’éviter des débats planétaires.